Inspection Basée sur la Criticité (IBC) : Considérations Pros et Cons

La première catastrophe majeure de l'industrie moderne eut lieu le 1er juin 1974, près du village de Flixborough, à environ 260 km de Londres (Royaume-Uni). 28 personnes sont tuées, le site de l'usine Nypro fut entièrement dévasté, ainsi que près de 2 000 maisons et bâtiments furent endommagés par l'explosion d'une unité de fabrication de cyclohexanone.

Selon le rapport d’enquête, la rupture au niveau des 2 soufflets de raccordement de la conduite provisoire de 28’’ mise en place entre deux récipients sous forte pression apte à la réalisation et l'optimisation de réactions chimiques (les réacteurs 4 et 6 de l'installation), a provoqué une fuite massive de cyclohexane chaud et sous pression. Le nuage de 40 à 60 tonnes de cyclohexane ainsi formé, s’est ensuite enflammé 25 à 35 secondes plus tard, au contact de la tour de reforming de l’unité hydrogène située à 100 m du point de fuite, provoquant une explosion suivie de multiples incendies.


La définition la plus simple et intuitive de la qualité, c’est l’état de satisfaction auprès d’un produit ou d’un service. Or la satisfaction signifie premièrement une manque de danger dans l’utilisation de produit envisagé (qui peut être aussi bien un outillage chimique).

Depuis 1991, la Société Américaine des Ingénieurs Mécaniques (ASME)  a introduit l’idée de réduire les risques sans augmenter les coûts, par une priorisation des inspections des équipements industrielle en fonction des risques. Ensuite, les principales firmes pétrochimiques mondiales ont implémenté l’analyse IBC pour les appareils et outillages chimiques de leur installations et l’expérience accumulé dans les derniers 20 ans est remarquable.

L’approche traditionnelle sur la qualité impose des intervalles fixes d’inspection, selon des procédures standards. Par contre, les intervalles et les méthodes d’inspection dynamiques selon l’Inspection Basée sur la Criticité sont plus flexible.

Dans certains pays, la législation sur la sécurité du travail a reconnu la méthode IBC comme adéquate (par exemple la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, Portugal). D'autres pays sont plus prudents : le Danemark, la Suède, le Luxembourg, la Suisse [1]. Il y a une troisième catégorie de pays, ou l’Inspection Basée sur la Criticité (IBC) peut être considéré pour les inspections obligatoires, seulement si un certain nombre d'exigences sont satisfaites: les intervalles d'inspection alternatifs proposés par IBC doivent être autorisés. Tel est le cas du Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne ou la Norvège [2].

Pour les organismes et autorités de contrôle habilité à inspecter et délivrer des attestations de qualité, certifiant qu‘un produit (par exemple un équipement sous pression) satisfait les exigences de qualité, les procédures de surveillance et contrôle deviennent plus complexe, par comparaison avec les procédures habituelles, traditionnelles (en raison des intervalles d'inspection variable et des différences parfois importantes entre les méthodes d’évaluation du risque utilisé).

Dans le cas de l’IBC, l’équipe interdisciplinaire des professionnelles responsable avec l’analyse doit répondre aux critères mentionnés dans l’une des normes suivant : API 581 (2008), les exigences RIMAP (Inspection basée sur la Criticité et Procédures d'entretien pour l'industrie européenne) par le Comité Européen de Normalisation (CEN, 2008) ou celles de l’ASME PCC-3 (2008). La flexibilité des normes applicable impose une expérience et des compétences particulièrement importants, moins accessibles pour les entreprises petites ou moyens.

En bref, les points forts de l’IBC sont les suivants :
- La réduction des risques et l’optimisation des coûts de maintenance;
- L’analyse IBC permet de renforcer l’inspection des équipements qui ont les niveaux de criticité les plus élevés;
- L’augmentation de la durée d'opération (par la diminution des arrêts d'installation);
- L'adaptation des méthodes et/ou de la fréquence des inspections aux mécanismes des dégradations spécifique à chaque équipement.

De l’autre côté, les points faibles peuvent être résumés de la manière suivante :
- Dans une certain mesure, l’évaluation des risques et un processus subjective;
- Le volume des informations nécessaires pour l’analyse IBC  est considérable (la précision des renseignements est aussi essentiels);
- L’implémentation, le maintien en place et les mises à jour du système IBC demande des ressources importants et personnel qualifié qui connait bien les mécanismes de corrosion (les coûts d’acquisition et de formation pour un logiciel IBC d’analyse quantitative spécialisé n’est pas négligeable);
- La gestion des intervalles et des méthodes d’inspections variables est plus complexes et doit être souvent accommodée avec les démarches de vérification traditionnelles;
- L’approche qualitative de l’IBC ne permet pas de démontrer suffisamment que le niveau de risque résiduel après l’implémentation de l’analyse IBC est inférieur au risque suivant la mise en œuvre de l'approche conventionnelle de l’inspection (une exigence pareil peut être demandés par la législation nationale d’un pays ou on essaye d’introduire le démarche IBC);
- Les méthodes IBC peuvent être différentes d’un site à l’autre et comportent des variantes dans leur mise en œuvre, ce qui rend plus difficile la surveillance, l’échange des informations et  une vision unitaire sur le risque dans un domaine industrielle ou un autre (par exemple le conséquence d’une défaillances peuvent être jugé moins grave dans une entreprise et plus grave dans une autre, pour des équipements semblable);
- Le risque élevé dû à haute conséquence, dans le cas des défaillances à faible probabilité des équipements, ne peut être géré de manière adéquate par la seule inspection (voir ASME PCC-3 : section « 3.6.3 Other Risk Management » )

Dans une monde de plus en plus interconnecté, l’augmentation des risques technologiques dans des conditions d’austérité économique nous impose une hiérarchisation de dangers pour mieux les maîtriser. L’expérience gagné par les acteurs industriels qui ont appliqués les exigences IBC a prouvé la maturité et l’efficacité de la méthode (par exemple, le groupe pétrolier Total a décidé de généraliser cette approche à l’ensemble de ses raffineries). En France, le guide de l’Union des Industries Chimiques: UIC/UFIP DT 84 présent quelques lignes directrices de l'inspection basée sur la criticité avec ses conséquences sur l'élaboration et la révision d'un plan d'inspection [3]. Au niveau européen une volonté d’harmonisation des pratiques du suivi des installations et équipements industrielles existe. Le projet RIMAP vise à promouvoir une méthode unitaire d’inspection et de maintenance basée sur le risque.

Dans « La société du risque » [4] qui se développe aujourd'hui, les spécialistes de l’industrie se mobilise pour anticiper et mieux contrôler les dangers technologiques de demain. On peut conclure que l’IBC est l'un des résultats de cette mobilisation.

Références bibliographiques :
[1] Bragatto P., Delle Site C., Faragnoli A., 2012, "Opportunities and Threats of Risk Based Inspections" (http://www.aidic.it/cet/12/26/030.pdf)
[2] RBIF: Risk Based Inspection Framework (http://www.rbi.risk-technologies.com/)
[3] Guide pour l’établissement d’un plan d'inspection : UIC/UFIP DT 84 (http://www.ufip.fr/uploads/img/DT%2084%20rev%20B01%20-%20fev%202010.pdf)
[4] Ulrich Beck, 2001, "La société du risque" (http://www.alternatives-economiques.fr/la-societe-du-risque-par-ulrich-beck_fr_art_154_16410.html)
[5] "Explosion catastrophique d'un nuage de cyclohexane" (https://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/fiche_detaillee/5611/)
[6] "L'accident de l'usine chimique de Flixborough" (http://www.preventique.org/Livres/laccident-de-lusine-chimique-de-flixborough-num%C3%A9rique)
[7] Photo: "Flixborough, 1 June 1974" (http://blog.nationalarchives.gov.uk/blog/flixborough-1-june-1974/)
[8] Liste des organismes notifiés, 2003 (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52003XC1212(04))

12 Juin 2016 © IAC

« Je risque, donc je suis » ou la gestion des dangers

Tenant compte que la vie est une activité à haute risque et nous avons presque tous 100% de chance de mourir [1] dans les prochaines 122 ans (le record de longévité [2] est détenu par la française Jeanne Calment), on peut dire - paraphrasant le célèbre dicton de Descartes: "Je suis en tant que je risque".



Selon la vision de l’ingénieur, le risque est la combinaison de la conséquence d’un événement et de sa probabilité. La possibilité qu'un événement se produise, divisée par le nombre total d'événements possibles dans un intervalle de temps donné, c'est la probabilité.
Autrement dit, on peut définir le risque par l'ampleur des effets d’un événement, ampleur affectée par la probabilité de la survenue de l’événement déclencheur.

Si on ne tient compte que des événements ayant eu des conséquences négatives, on calcule la valeur aryétique [3] du risque (l'ingénieur Georges Jousse a introduit la notion de risque aryétique dans son "Traité de riscologie" [4], en 2009). Quand on parle - par exemple, de 454.372 accidents [5] de voiture en France, en 2013, on ignore le nombre total d'événements, c'est à dire le nombre total d'utilisation de voitures, avec ou sans accidents.

Depuis 2010, la nouvelle définition d'ISO Guide 73:2009 (Vocabulaire du management du risque) met l'accent sur le concept d'incertitude et associe le risque aux objectifs de l’organisation : « Le risque est l’effet de l’incertitude sur l'atteinte des objectifs » [6].


Pour comprendre la différence entre les deux visions, on peut imaginer la société humaine comme une organisation qui diminue les risques "traditionnels" [7] au minimum, mais l'incertitude sur l'atteinte de ses objectifs stratégiques (obtenir le bonheur du peuple [8] ou réduire la fréquence des guerres à travers le monde, par exemple) peut rester ou devenir très élevé, ce qui mène à l'apparition des risques émergents [9] pour lesquels les probabilités et les effets ne sont pas bien connus (rater une opportunité, c'est aussi un risque [10]).

L'économiste Frank Knight [11] a suggéré une distinction entre l’incertitude et le risque: des probabilités mathématiques peuvent être assignées à un risque  mais pas à une incertitude (c'est le cas du réchauffement en cours de la planète, dans une certaine mesure).

A son tour, le danger peut être défini comme un événement indésirable ayant une probabilité d'occurrence et des conséquences importantes. La peur est la réaction subjective au danger et l'anticipation du risque est la réponse logique apportée à un problème existentiel, à la seul condition d'avoir les connaissances nécessaires pour anticiper les risques et réagir.

Dans son livre: "La société du risque" [12], le philosophe Ulrich Beck écrit:
« La production des richesses est désormais intimement liée à une production de risques, comme l’illustre l’exemple de l’énergie nucléaire. Cela pose un problème de justice sociale. Si une partie seulement de la société profite de certaines richesses, une déprédation de l’environnement – une marée noire ou un nuage toxique radioactif, frappe toutes les classes sociales et traverse les frontières » [13].

Donc, l'avenir de la gestion des risques est d'essayer de trouver des solutions pour les dangers catastrophiques potentiels qui menace l'humanité: les risques résultent du développement industriel, économique et social; l'activité sismique ou volcanique majeur; risques astronomiques (ex. astéroïdes), etc.

Un corbeau étendant ses ailes, debout sur un poteau marquant la limite de la zone d'exclusion de 30 km autour du réacteur nucléaire de Tchernobyl
(Photo: 2009 © Reuters / Vasily Fedosenko)

Notes, références et bibliographie :
[1] De quoi allez-vous mourir? (http://www.slate.fr/lien/34005/mort-causes-statistiques)
[2] Longévité humaine (https://fr.wikipedia.org/wiki/Long%C3%A9vit%C3%A9)
[3] Risque aryétique (https://fr.wikipedia.org/wiki/Risque#Risque_ary.C3.A9tique)
[4] Traite de riscologie : La science du risque (http://www.amazon.fr/Traite-riscologie-La-science-risque/dp/2950988873)
[5] Accident de la route en France (https://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_de_la_route_en_France)
[6] ISO/Guide 73:2009 (https://www.iso.org/obp/ui/fr/#iso:std:iso:guide:73:ed-1:v1:fr)
[7] La classification des risques traditionnels selon leur origine (http://www.institut-numerique.org/section-iii-la-classification-des-risques-selon-leur-origine-52aad252e4c1b)
[8] Journée internationale du bonheur (http://www.un.org/fr/events/happinessday/)
[9] Risques émergents (http://www.developpement-durable.gouv.fr/Risques-emergents,12976.html)
[10] Une économie politique de la sécurité; Claude Serfati (éd) "Le risque le plus grand est de rater une opportunité. Nous craignons les pertes plus que nous n'apprécions les gains" Thierry Malleret - Responsable du réseau "Global Risks" (https://books.google.fr/books?id=GoMjO4NDMfoC&dq=%22rater+une+opportunit%C3%A9%22+c%27est+aussi+un+risque.&hl=fr)
[11] Frank Knight (https://fr.wikipedia.org/wiki/Frank_Knight)
[12] La société du risque : Sur la voie d'une autre modernité (http://www.amazon.fr/La-soci%C3%A9t%C3%A9-risque-autre-modernit%C3%A9/dp/2081218887)
[13] Mort du sociologue Ulrich Beck (http://www.philomag.com/lepoque/breves/mort-du-sociologue-ulrich-beck-10856)
[14] UbbLE - UK Longevity Explorer (http://www.ubble.co.uk/risk-calculator/disclaimer.php)
[15] Échelle d'intolérance à l'incertitude (http://www.psychomedia.qc.ca/tests/echelle-d-intolerance-a-l-incertitude)
[16] Un corbeau étendant ses ailes, debout sur un poteau marquant la limite de la zone d'exclusion de 30 km autour du réacteur nucléaire de Tchernobyl.
(Photo: 2009 © Reuters / Vasily Fedosenko) (http://www.lamauvaiseherbe.net/2011/04/26/en-images-tchernobyl-26e-anniversaire/)

3 Janvier 2016 © IAC